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J’ai viré quelqu’un.
J’ai le pouvoir de le faire alors je l’ai fait.
Ça fait du bien.
Le pouvoir à quoi ça sert sinon à ça ?
J’ai dit à Johanna : je ne vais pas pouvoir te garder tu comprends, elle a dit oui.
Elle comprend.
Ça a évité des tas d’explications.
J’ai voulu en donner quand-même, me justifier c’est important.
Alors ce matin, je l’ai convoquée dans mon bureau et je me suis servi un café, pour lui montrer que je pouvais le faire tout seul. Que je n’avais besoin de personne pour cela et pour le téléphone c’est pareil, c’est moi qui ai répondu que je n’étais pas là.
Je voulais avoir une discussion avec elle.
Discuter c’est essentiel.
Je sais bien qu’en ce moment elle a des problèmes, des problèmes d’argent.
Qui n’en a pas ?
Moi aussi je voudrais en gagner plus de l’argent, mais au vu de ce que son salaire me coûte, je n’ai plus les moyens d’emmener chaque midi mes clients au restaurant.
Alors j’y mange seul, ce n’est pas très bon pour les affaires.
Quand elle vient avec moi, elle commande toujours un seul plat.
Elle doit être près de ses sous, est-ce que c’est si cher de prendre un dessert ?
On en profite pour faire le point sur les dossiers, on gagne du temps.
Parce qu’elle a beau accepter de rester une heure de plus tous les soirs, les journées sont trop courtes pour tout gérer.
Ce ne sont pas des heures supplémentaires. Seulement une poignée de minutes forfaitaires. Naturellement hors budget. Je ne suis pas milliardaire.
Et pas question d’embaucher. Au prix où sont les salariés.
Elle voit moins ses enfants. Elle doit payer la nourrice en supplément. Comme si c’était de ma faute, déjà que je lui fournis un emploi. Et je connais bon nombre de feignasses qui la voudraient sa place.
Elle travaille trop. Elle s’en plaint. Quand je pense à tous ces chômeurs franchement ça me fait mal au cœur. C’est indécent.
Elle n’a plus les moyens de s’acquitter de son loyer ! Alors, elle travaille trop ou pas assez ?
Je l’ai viré. J’ai le pouvoir de faire ça, alors je l’ai fait. C’est mon devoir. Sauver la société.
J’ai choisi de prendre un stagiaire. Non conventionné. Sinon je devrais le rémunérer.
Et puis quoi encore !
Puisque déjà je lui offre une formation, une expérience, une fonction, une place dans l’existence. Il peut faire un effort.
A la première erreur, je le change, j’en trouve un autre.
Je reçois chaque jour des dizaines de CV. Je n’ai plus qu’à piocher.
Vous devriez m’envoyer le vôtre.
Enfin, si vous voulez bosser…

 

 

Muriel Roland Darcourt

www.murielroland.com

Monologue : Le Patron excédé

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